Ce que j’essaye en vain de dire, je peux essayer en vain de le dire de bien des manières.
(Samuel Beckett, Trois Dialogues)
C’est en parallèle d’études de lettres modernes, puis d’anthropologie, que j’ai commencé, autodidacte, à photographier. J’ai choisi de continuer en tant qu’artiste, tourné d’emblée vers l’exposition, à côté d’activités variées.
Nourrie d’autres arts et de sciences humaines, ma démarche s’inscrit dans le champ trop vite dit documentaire, à mi-chemin du politique et du poétique. D’un essai à l’autre, je cherche moins à affirmer un style qu’à explorer des formes, adéquates autant que possible à des situations ou à des réflexions.
Essayer : l’unique position possible, aussi impérieuse qu’aura toujours été la question : de quelle juste manière être photographe, malgré le soupçon qui d’emblée hante toute image, d’une part, et la prolifération, la répétition, et la banalisation d’images de toutes sortes, d’autre part ?
L’héritage du passé, l’épreuve de l’exclusion, la construction de l’identité : ces problématiques ont structuré nombre de mes travaux… jusqu’à perturber ma propre trajectoire, plus tard, avec une troublante connexité.
M’intéresse aussi régulièrement ce qui définit un territoire, c’est-à-dire ses limites, et les manières dont il est aménagé, occupé, traversé. Avec une propension particulière à arpenter la ville, ses interstices, ses périphéries.
Au-delà de tout contexte, c’est chaque fois questionner l’existence, face à l’histoire comme au dérisoire, et malgré la résistance du réel. Ici, non pas celle affirmée, comme un postulat (cela va de soi), mais celle éprouvée, comme dans un combat (rien ne va de soi).
Si une tension manifeste entre présence et absence habite mes images, du reste au fondement même de l’acte photographique, c’est, plus que la notion de disparition, celle d’étrangeté qui permet de tout éclairer. Quand ce terme réfère à la sensation, jeté dans le monde, d’être étranger chez soi, voire étranger en soi, où que ce soit.
La seule quête qui vaille, dans ce sens — il y aurait quelques écrivains et cinéastes à mentionner — n’est-elle pas celle d’un autre lieu, d’un autre état, d’une autre forme possible… vite, avant qu’il ne soit trop tard ?
Ne resteront en réalité, au-delà des images, que d’authentiques problématiques de vision, (…) le difficile apprentissage de seuils inédits de la perception du monde.
(Bernard Lamarche-Vadel, Lignes de mire)
Julien Chapsal, 01-2025.